Le(s) temps des ruralités – épisode 4
Les 14 et 15 octobre prochain, se dérouleront à Cluny, les #temporelles2025, co-organisées avec l’AMRF, l’AMR71, et la Région Bourgogne-Franche-Comté, sur le thème “le(s) temps des ruralités”. A cette occasion, nous vous proposons une série d’articles en lien avec les thématiques de ces 2 journées en poursuivant avec un sujet qui vous zoome sur des trajectoires alt
Article rédigé par Sherine Berrahal, Sciences-Po Lyon, pour Tempo/AMRF
Face aux injonctions de la vie urbaine à savoir la vitesse, efficacité, rentabilité, certaines familles font le choix radical de quitter la ville pour s’installer à la campagne. Ce « retour à la terre » ne relève pas d’un repli nostalgique, mais d’un désir actif de cohérence, de lenteur, de sobriété, comme le montre l’expérience de Myriam, invitée du podcast Les nouvelles filles de la campagne ; un nouveau podcast de Sandrine Plancke. À travers ce récit se pose une question centrale : dans ces trajectoires de vie alternatives, les temporalités éducatives des enfants sont-elles subies ou choisies ? S’agit-il d’une nouvelle liberté pédagogique ou d’un ajustement difficile aux contraintes rurales ?
Une quête de cohérence : aligner le temps éducatif au temps du vivant
Myriam et son compagnon ont quitté la ville avec leurs enfants pour vivre en yourte, au rythme des saisons, des cultures, du bricolage et du vivant. Ils ne suivent aucun modèle préétabli, mais expérimentent une manière de vivre plus sobre et plus ancrée. Dans ce quotidien repensé, l’éducation des enfants est abordée avec une attention particulière aux rythmes naturels, loin des cadences scolaires traditionnelles. La scolarisation quand elle est maintenue entre parfois en tension avec ce nouvel environnement : horaires rigides, programmes peu adaptés, déplacements coûteux et fatigants. À l’inverse, l’instruction en famille (IEF) ou les formes d’éducation informelle peuvent sembler mieux correspondre à ces modes de vie, bien qu’elles exigent un fort investissement parental, matériel et émotionnel.
Ce choix du « pas de côté » n’est pas un retrait de l’école, mais une tentative de relocalisation de l’éducation, dans le même esprit que l’autonomie alimentaire ou énergétique. Les enfants ne sont plus des sujets passifs du système éducatif, mais des co-acteurs d’un projet de vie, où l’on apprend aussi à réparer une pompe, à gérer la consommation d’eau, à observer les saisons et à réfléchir aux besoins réels.
Des temporalités choisies mais encadrées par des contraintes
Cependant, cette liberté éducative est relative. Vivre à la campagne impose une hyper-prévision : anticiper les transports, les soins, l’accès à la culture ou à des réseaux pédagogiques. Les temporalités restent structurées par des contraintes extérieures : éloignement des établissements, absence de structures adaptées, rythmes institutionnels immuables. La charge mentale, comme l’explique Myriam dans le podcast, ne disparaît pas : elle se transforme. Il ne s’agit plus de courir après le métro ou les horaires de crèche, mais d’organiser le quotidien autour d’un calendrier de subsistance, où l’éducation prend place en tuilage avec les autres activités de la famille.
Le contraste est particulièrement fort pour les adolescents qui ont la volonté de se projeter vers un avenir qui, lui, reste très structuré par les normes urbaines et nationales. Le téléphone, les écrans, les cours en ligne ou en écoles deviennent des vecteurs hybrides entre ces deux mondes. Loin d’être idyllique, cette temporalité éducative rurale demande une adaptation constante, entre la volonté de choisir et la nécessité de composer. Mais on observe également une difficulté dans ce que renvoie le regard de l’autre, dans un milieu rural toujours épris par la tradition, qui génère parfois des jugements ou encore des incompréhensions qu’ils manifestent ostensiblement.
Une déconstruction des rôles et des rythmes genrés
Un autre apport fondamental de ces témoignages concerne la redéfinition des rôles parentaux et éducatifs, notamment du côté des mères. Dans Les nouvelles filles de la campagne, il ne s’agit pas d’un simple retour au foyer, mais d’une affirmation féminine nouvelle : bricoler, jardiner, réparer, apprendre, tout en restant coquette ou libre d’abandonner les injonctions esthétiques traditionnelles. L’éducation des enfants n’est pas réduite à une tâche maternelle invisible ; elle devient un projet collectif, souvent féministe, où les enfants sont invités à participer à la vie quotidienne avec intelligence et autonomie.
Les temporalités éducatives rurales, dans le cadre d’un projet d’autonomie, sont moins rigides mais plus exigeantes. Elles impliquent de repenser la place de l’école, du temps libre, du savoir pratique et de l’autonomie des enfants, dans un cadre familial et collectif repensé. Si l’on peut y gagner en liberté, cette liberté est conditionnée par une charge organisationnelle forte, un ancrage territorial profond et une vigilance permanente face aux inégalités structurelles. Mais à travers cette réinvention, émerge une nouvelle manière d’habiter le temps, de faire famille, et peut-être, d’éduquer autrement.