Deux clins d’oeil pour finir
par Patricia Andriot et Marina Lafay
Après de très belles Temporelles 2025 qui ont mis en évidence les temps de ces ruralités aux visages multiples, voici ce qu’en concluent nos deux intervenantes.
Patricia Andriot est commissaire à l’aménagement au massif des Vosges, élue locale, déléguée communautaire, et vice-présidente du RTES (réseau des collectivités territoriales pour l’économie solidaire).
Elle a commencé par remercier Tempo Territorial pour son invitation et la richesse des débats. Ceux-ci ont globalement évité le langage jargonnant pour des propos plus concrets et actualisant des représentations généralement associées aux zones rurales. Pour elle, ces Temporelles ont permis de déconstruire plusieurs présupposés sur les territoires ruraux. Ce ne sont pas forcément des zones où « l’on a le temps » et où « l’on prend le temps ». La recherche d’efficacité y est très présente et le temps apparait clairement comme un vecteur de renouveau des politiques publiques.
Grâce aux échanges centrés sur les temps du quotidien, plusieurs évidences ont été confirmées : l’importance de la créativité des territoires, du « faire ensemble », du lien social, de « l’aller vers », de l’articulation entre les initiatives citoyennes et sociales et les politiques publiques. Comment faire mieux ? Cette question parcourait en creux dans tous les propos. Elle prend tout son sens dans un contexte de restrictions budgétaires, car « moins d’argent public, c’est moins de temps pour les autres, pour faire ensemble, moins d’accompagnement », explique Patricia Andriot. Le lien entre le temps et les inégalités sociales émerge aussi clairement des échanges : « le temps peut les accélérer ou les réduire ».
À l’inverse, plusieurs évidences ont été remises en cause. L’opposition rural/urbain n’est pas une grille de lecture satisfaisante, les initiatives présentées ont montré au contraire des points communs et des complémentarités. L’opposition semble plus prégnante entre les territoires riches et ceux plus fragiles. La distinction entre l’individuel et le collectif peut également être nuancée. Concilier du temps pour soi et pour les autres, le respect de l’intimité et l’émancipation, est possible. Les échanges ont montré par ailleurs l’importance de l’articulation et du décloisonnement des politiques publiques quand on s’intéresse aux temps. La coopération apparait aussi clairement comme un gain de temps. Plus discrets dans les échanges, les temps des choix, des bifurcations, de la reconnaissance et de la consécration méritent également la plus grande attention.
Patricia Andriot souligne enfin l’évolution de notre rapport au temps, de la maîtrise du temps de l’individu, largement alimenté par le capitalisme, à sa reconquête par l’individu. « Les politiques temporelles sont en cela militantes, à l’instar des politiques alimentaires il y a une dizaine d’années qui ont depuis diffusé dans les politiques publiques. Elles rejoignent aussi les valeurs de l’économie sociale et solidaire : solidarité, coopération, démocratie et primauté de l’humain sur le profit ».
Propos conclusifs
Après avoir remercié l’ensemble des participants, l’ENSAM, la Communauté de Communes du Clunissois, l’AMRF, l’AMR71 et l’équipe de Tempo Territorial, Marina Lafay, présidente de Tempo Territorial, est revenue sur quelques éléments clés des Temporelles 2025.
Le droit à la mobilité…
… évoqué dès la première journée, est reconnu et conditionne le plein exercice d’autres droits, comme l’éducation, la culture, etc. Il se rapproche en cela au droit au temps : chacun en a besoin pour s’éduquer, se former, prendre soin de soi et des autres, etc. Le temps renvoie aussi à l’intime, au rapport à soi. Prendre du temps pour soi est essentiel, comme l’illustre bien l’expérience du « fit truck » Motivea. Pour ces raisons, Tempo Territorial milite pour la reconnaissance de ces temps consubstantiels au niveau européen et sensibilise aux enjeux de « pauvreté temporelle » ou encore de « famine temporelle ».
L’accès aux services publics…
… abordé ensuite, peut aussi être une affaire de temps. Les intervenants l’ont bien montré avec diverses initiatives. L’importance de « l’aller vers » n’est plus à démontrer pour réduire les inégalités et développer l’accessibilité des services publics en proximité. Ce principe fait écho aux villes du quart d’heure et aux territoires de la demi-heure pour les zones moins denses. Pour celles-ci, l’usage présupposé de la voiture peut être requestionné, comme l’ont fait le Parc Régional de Millevaches et la Communauté de Communes du Clunissois. Cela nous ramène aux territoires de haute qualité de vie sociétale, que nous avons défendus au cours de ces Temporelles. Bien vivre ensemble se rapproche aussi de la « bonne vie » d’Hartmut Rosa, philosophe spécialisé dans les questions d’accélération. C’est offrir une vie digne de sens pour chacun, disposer de droits effectifs et penser la résonance entre les individus. Et pour cela, il faut du temps, rappelle la Présidente de Tempo Territorial.
L’alimentation et les nouvelles solidarités rurales urbaines …
… évoquées dans la dernière partie de notre colloque, peuvent paraître de prime abord plus éloignées des questions temporelles. Mais la qualité alimentaire, la promotion des circuits courts, la durée des pauses méridiennes, etc., sont autant de leviers pour penser le temps de façon plus large, comme les mouvements Slow Food et Slow Cities y invitent. Les réseaux se tissent et les réflexions progressent, y compris sur la Slow Democracy. Tout cela nécessite du temps pour l’acculturation, les débats, l’évaluation…
Enfin, ces Temporelles ont abordé aussi l’engagement citoyen. S’il existe de multiples dispositifs de participation citoyenne, d’autres options existent telles que le bénévolat, l’aidance… Des démarches sont accomplies au niveau européen pour faire reconnaître ces temps d’engagement citoyen. Celle conduite par Ulrich Mückenberger, juriste et expert auprès du Conseil de l’Europe, défend par exemple la comptabilisation des temps d’engagement dans le calcul de la retraite.
Le réseau Tempo Territorial porte ces combats, et bien d’autres, car il s’agit d’opportunités pour les territoires comme pour les villes. « Les territoires ruraux développent des politiques temporelles comme Monsieur Jourdain fait de la prose », souligne Marina Lafay. Des petites initiatives menées dans des territoires ruraux inspirent des métropoles et vice-versa. Par exemple, l’ouverture des écoles rurales durant la période estivale a inspiré Lille, Strasbourg et Paris. La force des politiques temporelles réside aussi dans le fait qu’elles s’affranchissent des cultures en silos, lèvent des freins administratifs, réglementaires, etc. Ces approches permettent aussi de préparer l’administration à aborder d’autres sujets complexes, tels que la transition.
texte rédigé par Caroline Januel, rédactrice, en charge de la production des Actes des Temporelles
