Profitons de ce 8 mars approchant, pour revenir sur ce qui fût à l’origine des politiques temporelles et des « bureaux des temps » en Italie, dans les années 90, puis en France dans les années 2000. Un peu de souvenirs à mettre en résonnance avec le temps présent…
Souvenons-nous que vers le début des années 90, les politiques dites « tempi della città », sont nées en Italie et ont vu leur émergence puis leur diffusion, favorisées grâce à une sensibilité de plus en plus affirmée au regard de la question de l’égalité de genres en Europe. En effet, dans un pays où le manque de services liés à la parentalité était important, un beau jour des femmes italiennes ont dit « basta » ! « On ne peut plus être les mères, les femmes, les salariées, les engagées, que vous nous demandez d’être, car ce n’est pas possible d’y arriver, sans considérer d’abord la conciliation de nos temps de vies, nous qui portons la double journée ! Basta !! »
Ces revendications de femmes sont consacrées par la loi (Livia) TURCO « les femmes changent le temps », le 8 mars 2000, qui « promeut un équilibre entre les temps de travail, de loisirs, de formation et de sociabilité à travers l’institution de congés parentaux et de congés pour formation continue, de coordination des temps de fonctionnement de la ville et de promotion des usages du temps à des fins de solidarité sociale ». Mais aussi de la mise en place de « Bureaux des temps » dans les territoires de plus de 30 000 habitants, puis par des lois régionales (en Lombardie, Toscane) qui ont chacune définis les axes principaux des politiques à déployer dans les communes.
Très rapidement, la problématique s’élargit à l’espace public ; comment créer, avec les habitants du quartier, un « espace-temps » convivial en réhabilitant une place publique, par exemple. De là, les tables quadrangulaires de concertation mises en place en Italie permettent aux habitants et aux utilisateurs du territoire de prendre en compte leurs problèmes et leurs intérêts spécifiques et, aussi, de négocier des solutions d’intérêt général. Le temps comme le territoire devient un continuum.
Ainsi, ces politiques du temps, émergeaient, favorisant volontairement une égalité des chances, une déspécialisation des rôles sexués et un nouveau partage des rôles notamment à travers l’égalité dans l’accès au marché du travail et un service public accessible largement développé.
Ce débat arrive en France dans les années 2000, apporté par la recherche et la DATAR*, dans un contexte de mise en œuvre des lois Aubry, qui bouleversent le rythme du travail, tout comme les rythmes de vies. A noter le fait que l’article 1 de la loi du 19 janvier 2000 comporte une recommandation aux collectivités locales visant à harmoniser les horaires des services publics avec les besoins découlant des nouvelles organisations du travail.
* on peut rappeler ici le séminaire « temps et territoires » qui s’inscrivait dans le programme prospectif de la DATAR « territoires 2020 », temps fort de la création du réseau Tempo
Cela conduit à la mise en place en France de « Bureaux des temps » dans quelques collectivités pionnières. C’est à cette époque qu’Edmond Hervé, alors maire de Rennes, porte en précurseur cette question de l’égalité entre les femmes et les hommes, de façon très concrète, en s’engageant par exemple sur le temps de travail en journée des femmes de ménage de la collectivité. Une première qui s’est ensuite déployée largement. De nombreux sujets ont suivis, tels ceux liés aux gros générateurs de temps, comme l’école, avec les études sur les rythmes scolaires, ou l’entreprise, avec les sujets des services aux salariés, et de la mobilité salariée tout en gardant en tête la double journée des femmes, toujours hélas d’actualité.
Presque 20 ans plus tard, ces politiques temporelles sont toujours très actives dans une douzaine de collectivités et de nouveaux sujets favorisant l’égalité de genres ont émergé, tel celui, innovant, lié au genre dans l’espace public, « Penser la ville pour les femmes ».
Ainsi, dans l’actualité, la revue des collectivités Le Formateur des Collectivités consacre un numéro à la place du genre dans les politiques qui accompagnent et impactent l’aménagement de l’espace public. « Réduire les inégalités de genre à travers l’urbanisme et favoriser l’égalité femmes-hommes dans la vie locale » tel est le sujet de ce numéro.
« Aujourd’hui en moyenne, les femmes gagnent 16,8% de moins que les hommes à temps de travail égal et occupent 80% des temps partiels. 75% des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes profitent aux garçons. Seulement 2% des rues portent un nom de femme. Dans les cours d’école, 20% des garçons occupent 80% de la surface disponible… Comme élu·e et comme citoyen·ne, nous devons questionner et agir pour mettre fin aux discriminations et aux dominations fondées sur le genre. Trop peu de collectivités prennent en compte le genre dans la mise en place de leurs politiques publiques. Pourtant elles disposent des compétences pour agir. Pour ce numéro, ont été mobilisé.e.s des géographes du genre, des expertes et des élues qui ont réfléchi et sont à l’origine de politiques transformatrices en matière d’égalité femmes-hommes ».
La revue Urbanisme a elle aussi sorti un dossier en janvier 2023 sur cette question « Le territoire, la ville et le genre, è pericoloso sporgersi ! »
La ville de Paris sort un guide « genre et espace public », où 47 bonnes pratiques présentées portent sur l’intégration du genre dans les opérations d’aménagement, mais aussi sur des marches exploratoires, la prévention autour du milieu festif nocturne, la représentation des femmes dans la ville, les transformations Olympiques, etc. Webinaires à retrouver en podcast ici
La revue du CNRS dans un article récent « Rendre la ville aux femmes » revient aussi sur ce sujet, en démontrant une ville pavée d’inégalités de genre.
Autre approche, chorégraphique, où la question de la place des femmes dans l’espace public est traitée. Ainsi à Lyon où la Compagnie Actes d’Annick Charlot, propose une scénographie sur les Berges du Rhône. Equipé de casques-audio, le public est emmené par 2 danseuses, 1 musicien et 20 complices, au long d’un parcours dans la ville, aux abords du campus Berges du Rhône. Entre performance, happening ou expérience radiophonique en direct, le spectacle se vit autant qu’il se regarde. Et invite à (dé)jouer ensemble les normes genrées qui façonnent nos corps et nos quotidiens, nos manières d’être et d’agir dans l’espace public.
Bref, au-delà de ce 8 mars symbolique, le sujet est plus que jamais d’actualité !
D’autres lectures si le sujet vous intéresse :
Rébecca Cardelli dans Dynamiques régionales 2021/3 (N° 12), pages 5 à 11 : https://www.cairn.info/revue-dynamiques-regionales-2021-3-page-5.htm
Genres et espaces publics, des villes pour toutes et tous : https://www.pourlasolidarite.eu/sites/default/files/publications/files/na-2019-genre-espaces-publics.pdf
Un kit pédagogique, réalisé par Culture et santé : https://cultures-sante.be/nos-outils/outils-education-permanente/item/596-de-genrer-la-ville-espace-public-genre-et-masculinites.html
La ville comme espace genré , ENTRETIEN AVEC ÉDITH MARUÉJOULS : https://obs-urbain.fr/ville-espace-genre-entretien-edith-maruejouls/
Un article de la Gazette des communes : https://www.lagazettedescommunes.com/543204/quand-lespace-public-est-concu-par-des-hommes-et-pour-les-hommes/