Mobilité Travail et temps sociaux

Transport : une histoire de pendule

Les heures de pointe, à la confluence des horaires de travail et des horaires de transport, sont aujourd’hui la représentation la plus manifeste de notre organisation temporelle. Cet ordre temporel, articulé autour des déplacements collectifs des salariés, témoigne d’un temps universel que nous partagerions tous. Mais comment s’est construit cet « horaire universel » ? Comment en est-on venu à adopter un temps normé et synchrone ? Petit retour sur les débuts de l’horloge, et les interdépendances entre réseaux de transports et uniformisation des temps.

 

L’horloge municipale

Commençons notre histoire au XIIIème siècle : à cette époque les individus auraient fait montre d’une vaste indifférence au temps et à sa synchronisation. Les travaux agricoles et seigneuriaux rythmaient alors les territoires selon leur propre tempo. Ainsi, les cloches régulant les activités rurales sonnaient à différents moments selon que la paysannerie était gérée par tel ou tel seigneur.
Puis, avec l’apparition de l’horloge publique à sonnerie (au-dessus des beffrois) au XIVème siècle et la première phase d’urbanisation, l’environnement acoustique de la ville médiévale devient unifié. Ce premier processus d’uniformisation du temps au sein de la ville est pour beaucoup la conséquence immédiate de l’activation du grand commerce interurbain. En effet, le développement des réseaux et des échanges participe certainement d’un processus d’intégration territoriale, mais aussi temporelle.
A la fin du Moyen-âge, la mesure du temps au sein de la ville est certes monocorde mais pour autant elle reste très imprécise. Pour des raisons technologiques, elle s’apprécie tout au plus à l’échelle du quart. C’est la diffusion de l’horloge mécanique qui permettra plus tard d’approcher l’exactitude scientifique et donc de proposer un standard horaire.
Cependant, même avec la précision de l’horloge mécanique, pendant de longues années les horaires affichés par les horloges municipales resteront variables d’une ville, d’une région ou d’un pays à l’autre.

L’horloge nationale

Au début du XIXème siècle et avant les chemins de fer, l’augmentation du trafic postal rend à présent indispensable la convergence des horloges municipales. Ainsi, de par les besoins de l’activité postale, les postiers « livraient » un temps uniforme avec leurs « montres » et permettaient ainsi d’ajuster quotidiennement les horloges municipales de référence.
A partir de 1839, avec le développement des réseaux de chemins de fer, c’est à présent l’horloge de la gare qui donne la convention horaire. Le chemin de fer assurant une vitesse commerciale élevée, il pouvait plus efficacement apporter l’heure « officielle » dans les différentes gares de région. Cette synchronisation des horaires dans les différentes villes est, par analogie à la poste, la résultante de besoins inhérents à l’activité ferroviaire : pour assurer la circulation des trains il est indispensable que l’heure soit identique dans toutes les gares.
Ainsi lorsque l’activité ferroviaire évolue, la synchronisation des horaires sur le territoire se perfectionne. En effet, avant les nationalisations du XXème siècle, les différentes compagnies prescrivaient le temps local depuis leur siège vers toutes les gares de leur réseau. Puis avec les nationalisations, on coordonna l’ensemble des horloges locales avec celle de la capitale. « Les chemins de fer agissaient comme de grandes horloges nationales » (BLOCH M., 1968).

L’horloge universelle

A une plus grande échelle, les premiers projets de coordination du temps mondial en fuseaux horaires émergent en 1885. C’est initialement en Amérique du Nord que les compagnies ferroviaires américaines, poussées par les différences d’horaires solaires entre régions, décident pour la première fois d’adopter une grille nationale de fuseaux horaires. Deux années plus tard, sous l’impulsion de Sandford Fleming, ingénieur ferroviaire canadien, la « Conférence Internationale sur le Méridien » instituera le « temps universel ».

A partir de cette brève histoire des relations entre transports et horlogerie, nous comprenons l’interdépendance de ces deux sphères : la synchronisation des horloges n’a pu s’opérer que par le développement des réseaux de communication. Réciproquement, les réseaux de communication n’ont pu se développer que par la synchronisation des temps mesurés.
Aujourd’hui, pour continuer à développer l’efficacité de nos réseaux de transports, l’idée de resynchroniser nos rythmes structurants est une piste de plus en plus fréquemment abordée. Afin de désengorger nos transports en commun aux heures de pointe, sur un territoire donné, pouvons-nous envisager un décalage des horaires de travail de certains établissements, certains travailleurs? Pourrons-nous penser de nouvelles synchronisations au-delà du cadre fordiste de la ville industrielle ?

Emmanuel Munch
Doctorant CIFRE en chrono-urbanisme
ENPC-IFSTTAR-UPEM Laboratoire Ville Mobilité Transport
SNCF Transilien

Bibliographie :
BLOCH M., 1968, La société féodale (1938)
DOHRN-VAN ROSSUM G., 1997, L’histoire de l’heure. L’horlogerie et l’organisation moderne du temps.
DURR B., 2007, « De l’institution du temps » in Régulation temporelle et territoires urbains- Habiter l’espace et le temps d’une ville, P.23-106
PRADEL B., 2010, “Rendez-vous en ville ! Urbanisme temporaire et urbanité événementielle : les nouveaux rythmes collectifs”, Thèse de doctorat en sociologie, sous la direction de Francis Godard et Marie-Hélène Massot, Université Paris-Est